Réalisé par Avec Hend Sabry, Nour Karoui, Ichraq MatarPays: Genres : Drame, Documentaire Durée : Année de production : |
7.75/10 |
Après le « documenteur », le Challah de Tunis, Les Filles d’Olfa représente un cas d’école en la matière. Si vous ne savez pas que c’est un documentaire, vous pouvez le voir jusqu’au bout en pensant avoir affaire à une fiction et votre jugement s’en trouvera très certainement affecté ! Et même l’œuvre est catégorisée comme un docu’, le film a clairement sa place aussi dans le registre dramatique traditionnel.
À la frontière entre la réalité et la fiction, brouillée par un film réalisé dans le film, Les Filles d’Olfa est une véritable réussite autant dans ses propos que dans l’émotion. Dès le début du film, on apprend que deux actrices professionnelles seront chargées de jouer les rôles de Rahma et Ghofrane et qu’une autre actrice professionnelle, Hend Sabri, une actrice de grande réputation en Tunisie, sera chargée de remplacer Olga dans les scènes difficiles à vivre. Cela prête nécessairement à confusion pour le spectateur qui ne sait plus parfois s’il entend des témoignages réels ou une réinterprétation de certaines scènes.
Ce dispositif si particulier, donne naissance à un film d’une grande intensité, dont le mélange des personnages est intéressant à vivre. La touchante mère se dévoile alors totalement aux actrices, qui devront réinterpréter les membres de cette famille. Certaines scènes du film sont d’une grande drôlerie, comme celle où Olga raconte la façon dont s’était déroulée sa nuit de noces.
A l’image de Mustang, on y découvre l’éducation de quatre jeunes filles et des tournants de leur vie qui les forgeront dans ce qu’elles deviendront. Chaque dialogue intime est croustillant et permet de comprendre un peu plus cette famille soudée et pourtant anecdotique, mais qui va être touchée par le « mal » dans le plus profond de son âme. De leurs cheveux laissés au vent, s’ensuit une mise au pas avec d’abord le voile, puis l’habit, et les changements progressif des comportements. Auto-mutilation, critique de la religion, vies jugées « impures » qu’il conviendrait de bannir, car contraire « à la charria », les sujets sont complexes et multiples.
La mise en scène dévoile une image incroyablement inventive. Le contraste est profond et la position de la caméra est fascinante, surtout quand la réalisatrice joue avec des miroirs pour dévoyer le prisme de la fiction vers sa propre réalité. Les Filles d’Olfa autant sur la forme que sur le fond a plusieurs niveaux de lecture. Si l’histoire racontée n’est pas connue en France, c’est un fait divers qui a défrayé la chronique en Tunisie dans les années 2010, le rendu final est formellement déconcertant. [no spoil] On ne détaillera pas plus les circonstances de la disparition de deux filles aînées d’Olfa, car le film ménage le suspense pour rendre la conclusion immanquablement bouleversante.
Les Filles d’Olfa est un objet filmique fascinant sur le fond et sur la forme. À mi-chemin entre fiction et documentaire et au-delà du propos politique, le film de Kaouther Ben Hania interroge sur plusieurs pistes de réflexion passionnantes (et même réparatrices) sur le pouvoir du cinéma sur le réel.