7.25/10 |
Adapté du livre de Florence Aubenas, Le quai de Ouistreham, le film d’Emmanuel Carrère prend une dimension documentaire juste sur le monde du travail précaire. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs, Ouistreham ne sortira au cinéma qu’en 2022.
Métamorphosée, sans artifices et sans maquillage, Juliette Binoche est rayonnante, interprétant une écrivaine en immersion dans une équipe de femmes de ménage avec lesquelles elles se lient d’amitié en s’enfonçant petit à petit dans le mensonge. Si la voir récurer les toilettes à multiples reprises n’est pas foncièrement passionnant, Juliette Binoche s’abandonne totalement à son rôle et on ressent que sa démarche est profondément sincère (appuyée en plus par son intervention avant film).
Ses partenaires non-professionnels sont tout aussi justes, essentiellement la jeune rebelle Hélène Lambert assez impressionnante dans son propre rôle sans chercher à en faire trop, bien que son caractère semble bien trempé. Certes, le Didier n’est pas ce qui est de plus « à l’aise » face à la caméra mais il reste très attachant dans la relation qu’il entretient avec Marianne/Juliette. Face au jeu naturaliste des acteurs non-professionnels qui ont, comme on dit, le physique de l’emploi, un pan de la société grandissante est représenté avec justesse.
Dans la construction de Ouistreham, on pense forcément à l’univers de Ken Loach, dans ce pêle-mêle social entre chômage, précarité, cadences de travail insoutenable et difficultés de la vie. Le film jette une lumière crue sur ces petites mains si essentielles mais pourtant invisibles qui travaillent dans l’ombre, et qui plus est, à bord de bateau de croisière, là où l’argent peut être manifeste. Enfin, les moments d’émotion et les petits moments de joie se voit accompagnés d’une musique qui semble ne pas toujours collée aux images mais restent agréables avec ses consonances électro.
L’Histoire a toujours démontré les fragmentations du peuple. De façon plus populaire et contemporaine, Ouistreham raconte l’impossible dissimulation des classes sociales.
« La société étant divisée par tranches, comme un bambou, la grande affaire d’un homme est de monter dans la classe supérieure à la sienne et tout l’effort de cette classe est de l’empêcher de monter. »
Stendhal – 1783-1842